
Mer de brume sur l’île de Baffin.
Une berge de longues dalles, granite archéen
dont les yeux noirs, tissés dans la peau feldspathique,
s’ouvrent, à l’écho de nos ombres.
Ici, les visites sont centennales.
Rare toundra. Les feuilles vives des bouleaux nains
offrent un automne à la forêt de lichens plus haute qu’eux.
C’est à cet instant,
que je les aperçois.
De ce sol hermétique s’élancent, sans même besoin de racines,
de petits monticules, créations fossiles faites de galets,
de roches, assemblés pas n’importe où,
pas n’importe comment.
Leur verticalité à mes genoux parsème de troncs le roc stérile.
Au cœur des statues bancales bat la vie
des mains qui les ont dressées-là.
Au cœur des statues bancales s’esquissent une direction
une prière,
une mise en garde,
Un message offert par le nomade qui
sait au nomade qui s’en vient.
Calligraphie lithologique, art de l’emplacement,
de la forme de l’ombre des pierres.
Le chasseur fatigué y lit le sentier du gibier,
le passage du gué,
la banquise solide
la migration des bernaches,
l’emplacement du campement.
Le repère inespéré comme la pluie dans le désert épanche la soif d’une présence.
L’air blanc souffle la glace à mes lèvres.
Ignorante, j’admire les Inuksuit dont je ne connais pas la langue.
Dans les profondeurs de mon ventre, quelque chose s’éveille soudain,
gonfle mon cœur comme une voile.
Des cellules ancêtres bouleversent ma généalogie.
Elles, reconnaissent
les bras tendus des pierres,
le paysage par la lucarne rose,
les caches à viande,
les cercles des tentes couvées par la toundra.
Hyperboréenne –
J’entends
vos chants d’amour !
Inuksuit, petits frères,
Je suis déjà passée par là.
Daphné Buiron