Il dit qu’il s’appelle Andrew. Il le dit en hochant la tête de haut en bas, le regard tourné vers le sol. C’est comme ça qu’il ponctue ses phrases, même les plus banales, surtout les plus banales. Il dit qu’il a grandi à plusieurs centaines de kilomètres par là, en pointant la forêt, mais qu’il vit à Tok avec son frère maintenant. Il dit qu’une fois la police l’a confondu avec un autre, qu’ils l’ont accusé de meurtre, mais qu’il n’avait pas NB tatoué sur le cou comme l’autre et qu’ils ont dû le relâcher. Il regarde ses jointures, striées, bossées, comme un outil qui a beaucoup servi, peut-être un peu trop même. Il dit qu’il a un shotgun sous son lit et un pistolet sous son oreiller, et quand il le dit il vise dans le vide et tire sur des ennemis invisibles. Puis il éclate de rire. Il dit que l’autre jour il a abattu un ours à bout portant. Il ajoute que c’était triste au fond, pour s’excuser. Puis il parle des crips et des bloods du far north. Il répète : crips and bloods, crips and bloods, et il hoche la tête, de haut en bas, de bas en haut, crips and bloods. Il dit qu’il y a souvent des étrangers qui entrent dans sa cabine pour le voler. C’est parce qu’il laisse sa télévision ouverte, sans le son parce que ça l’empêche de dormir, mais qu’il les attend avec son fusil sous l’oreiller. Il dit que c’est sa famille qui a fait tout ça, les outils, les vêtements finement tissés, la couleur sur la carte. Il en est fier, ça il n’a pas besoin de le dire. Il se rassoit, croise les mains, les coudes sur les genoux, comme s’il attendait quelque chose. Soudain il dit : will you come back, mais il connait déjà la réponse, alors il baisse les yeux et hoche la tête, de haut en bas, de bas en haut, parce que c’est comme ça qu’il ponctue ses phrases, même les plus banales, surtout les plus banales.

Tok, Alaska, 2018
Jean-Pascal Bilodeau