Par Kathleen Gurrie
Aujourd’hui, 09-12-09, jour de tempête. Comme je me disais qu’il me fallait explorer les trottoirs de la ville, il neige. 25 centimètres de neige! Sont où mes trottoirs?
De chez-moi à l’école de mes enfants, il y a une marche d’environ 5 à 10 minutes. Les trottoirs que j’arpente pour m’y rendre et en revenir sont ceux que j’utilise le plus souvent par jour, par semaine, par mois, par année…
Toujours le même chemin : 3ième avenue jusqu’au boulevard Rosemont. Parfois, je traverse à mes risques et périls le boulevard pour prendre la 2ièmeavenue; d’autres fois, je me rends jusqu’à la lumière au coin de la 1ère. L’école se trouve entre la 1ère et la 2ième, au sud de Beaubien, derrière la grande Église de Saint-Marc. L’école porte le même nom. Si je travaille de la maison, j’arpente ces trottoirs aller-retour, matin et soir. Sinon, je débarque de l’autobus sur Beaubien et la 1ère et je fais ensuite le chemin jusqu’à la maison… Une fois sur deux, je suis seule, et l’autre fois, bien entendu, j’ai mes enfants avec moi.
Voilà pour le préambule. Est-ce que je prends le temps de voir vraiment ces trottoirs? D’emblée, je dis non, à l’exception des exceptions. Je remarque ce qui change, par exemple, les feuilles sont tombées, telle maison a mis ses décorations de Noël ou encore quand, au début de septembre, la Commission scolaire a fait peindre de larges cercles verts sur les trottoirs, souhaitant probablement prouver par là que tous les chemins mènent à l’école Saint-Marc. J’ai remarqué toutes ces petites évolutions de quartier, mais cela ne veut pas dire que j’y ai flâné. Non, ceci est un trajet d’habitude, fait de yeux endormis, de pas pressés et de bras parfois chargés; c’est aussi un lieu d’échanges : «Tu as passé une belle journée?», «Maman, qu’est-ce qu’on mange pour souper?» et aussi, parfois, de remontrances : «Mets tes mitaines!», «Dépêchez-vous, nous allons être en retard!»
Alors voilà, que je dis, ce sont les parfaits trottoirs. Les plus familiers que je possède. Ce sont eux que je vais observer et qui me feront écrire… Le défi est lancé, la contrainte est définie, le territoire est délimité… et il y a une tempête de neige aujourd’hui… C’est bon, c’est pas grave, trottoir pas trottoir, il est 16h36, je mets mes Sorel, je vais chercher les enfants et j’ai la mission, sans appareil photo, de remarquer autre chose… Quoi? Autre chose.
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Je suis la chenille sur le boulevard Rosemont – pas question de sauter par-dessus le monticule de neige que les grattes laissent pour ensuite me retrouver presque en plein milieu du chemin alors qu’il fait noir et qu’on ne sait même pas si les automobilistes se rappellent d’une année à l’autre comment conduire en hiver! – et je me répète «trottoir trottoir» comme un mantra de flâneuse et je regarde par terre parce que les bourrasques m’envoient des flocons dans les yeux et je me dis qu’il n’y en a pas, de trottoirs, parce que le trottoir, c’est le béton… et qu’à part les traces des pneus du petit tracteur de la ville… D’ailleurs, me traverse l’esprit que ces gens qui conduisent ces petits tracteurs sont en effet les spécialistes des trottoirs. Et pendant un moment je regarde le derrière de la tête de cet homme chauve en t-shirt en pensant au chauffage de la petite cabine et… «trottoir trottoir», je me rappelle ma mission!
Le trottoir devient aujourd’hui le paradis du jeune enfant qui se fait tirer en traîneau, je me le rappelle tout à coup en voyant le premier de l’année surgir devant moi…
Et puis je traverse Rosemont. Le trottoir de la 1ère avenue n’est pas aussi fraichement dégagée. Une dame traine une immense valise à roulette dans la rue. Elle se tasse quand il y a des voitures et s’arrête parfois pour reprendre son souffle, comme c’est pentu entre Bellechasse et Rosemont. J’ai envie de lui dire qu’il y a tout de même moins de neige sur le trottoir que dans la rue, mais j’oublie, parce que «trottoir trottoir»…
Des gens ont déjà pelleté leur espace de stationnement. J’ai toujours trouvé extrêmement méticuleux ce petit chemin fait entre l’auto et le trottoir… Peut-être ne mettent-ils leurs bottes de neige que pour pelleter le soir?
Les enfants ont ceci de différent avec les adultes, c’est que la neige les rend tous heureux sans exception! Je n’ai jamais vu un enfant ne pas être excité par une bonne bordée de neige. Et puis ils ont une autre chose de différente, c’est qu’ils ont bien de la misère à marcher sur le trottoir… Ils sont à la marge, soit trop près de la rue, soit sur le parterre des habitations. Avec la neige, c’est pareil. Le plaisir pour un enfant est de marcher là où il n’y a pas de traces pour se retourner et voir l’empreinte de ses pas dans la neige vierge. Le trottoir est libre, mais c’est tellement ordinaire! Il faut marcher soit sur le deux pieds qu’il y a entre la petite clôture et le trottoir dégagé ou soit marcher sur l’espace entre la rue et le trottoir, d’environ 6 pieds au nord de Rosemont, mais de 3 pieds au sud…
L’urbanisme qui prévaut dans le quartier révèle les différences sociales qui avaient cours à l’époque de sa construction. Le boulevard Rosemont est la frontière entre les ouvriers et les contremaîtres. C’est bien connu : plus on habite proche de la shop, plus ça pue! (Référence à l’ancienne Shop Angus, aux environs de Rachel et de Molson) Ce n’est pas juste les trottoirs qui sont plus larges, les duplex/triplex aussi. Et puis les cours sont plus profondes et il y a parfois même de l’espace entre les immeubles pour se garer!
Reste que les marges des trottoirs sont ce qu’il y a de plus intéressant dans un quartier comme le mien en hiver. Des monticules s’y forment, des chemins non encore parcourus, des territoires vierges, des montagnes à gravir, des trous à creuser, des mottes molles ou dures à trouver pour les lancer sur sa mère… L’aventure est à la marge du trottoir. Et c’est là qu’on se couche et qu’on fait l’ange, mais juste au nord de Rosemont! Au sud, devant chez-moi, il n’y a pas de places pour les anges… Mais il y en a encore moins sur le Plateau, faut pas que je me plaigne… Je déteste toujours à quel point les chenilles font un ménage complet en temps de déneigement, faisant le tour des arbres, amochant des vélos au passage, effaçant les sentiers des passants et les terrains de jeux des enfants. Ça doit avoir à voir avec les gens qui font les petits chemins (1 pied x 3 pieds) entre le trottoir et leur auto…
Me revient cette phrase de Philippe Delerm : « On se surprend à marcher sur le bord du trottoir comme on faisait enfant, comme si c’était la marge qui comptait, le bord des choses. »
Dernière remarque : se promener après une fraiche bordée de neige avec des enfants sur les trottoirs est beaucoup plus long que ce que le trajet prend habituellement. Les enfants sont davantage des flâneurs de leur espace quotidien que nous… Pour ma part, je pense au poulet dans mon four, faut pas qu’il brûle… Allez hop, à la maison!
Chronomètre : un peu plus de 45 min. aller-retour de chez-moi à l’école Saint-Marc. Mon poulet était bien doré.
Prochain épisode : Y aura-t-il encore de la neige?