Les récits pour le dire, un

Par André Carpentier

 

Les récits pour le dire, un

Dré croise son ami Le Robert

Dré : Dis donc, Robert, tu dois savoir, toi, d’où vient le mot trottoir?

Robert : Le mot trottoir est un dérivé du verbe trotter qui, dans sa remontée étymologique, en croisant le francique, l’anglo-saxon, l’ancien haut allemand, voire même le gotique, renvoie… je te le donne en mille, mon Dré : à l’idée de marcher.

Dré : Encore ça!

Robert : Eh! oui… Mais sais-tu que le mot s’écrivit d’abord t – r – o – t – t – o – u – e – r.

Dré : Non mais je sais comment ça se prononçait à l’époque, et comment ça se prononce en canayen, comme dirait Jean Morrisset : trottouère!

Robert : Ce n’est qu’au dix-septième siècle que le mot trottoir désigna un espace surélevé aménagé sur le côté de la rue à l’usage des piétons. Et que l’orthographe passa de trottouer à trottoir.

Dré : Donc à l’époque où mes ancêtres, le Normand Noël Carpentier et la Fille du Roy Marie-Jeanne Toussaint, décidèrent de s’expatrier vers la Nouvelle-France. Cela veut dire que Noël et Marie-Jeanne, qui ne se connaissaient pas à ce moment-là, émigrèrent avec le mot trottouer dans leur besace lexicale. Marie-Jeanne, qui arrivait de Paris en avait probablement déjà vu, des trottoirs, mais Noël, qui venait d’un petit village près de Dieppe, sans doute pas.

Robert : C’est pas parce qu’on n’a jamais vu la chose qu’on ne peut pas avoir le mot pour la nommer… Mais dis-moi : où t’en vas-tu comme ça, mon Dré?

Dré : Nulle part, je déambule, j’arpente les banquettes, comme disent certains de mes amis.

Robert : Veux-tu que je te raconte l’origine militaire du mot banquette, du moins dans le sens te trottoir?

Dré : Non.

Robert : Alors dis-moi ce que tu fais sur les banquettes?

Dré : Je flâne.

Robert : Ah! tu t’abandonnes à l’impression et au spectacle du moment — si tu permets que je me cite moi-même… À te voir aller, je pensais plutôt que tu t’en allais quelque part, chez un libraire, un disquaire…

Dré : C’est vrai que je suis toujours à chercher un livre ou un disque…

Robert : J’y pense : tu devrais réhabiliter le mot trottin.

Dré : Qui veut dire?

Robert : Tu sais, l’apprenti, garçon ou fille, employé aux courses pour un magasin, une boutique de modiste…

Dré : Ah! oui, comme dans la «Complainte pour complaire à Bibi-la-Purée», de Jehan Rictus : «Stupeur du badaud, gaîté du trottin…»

Robert : Tout juste.

Dré : Tu ne souhaites tout de même pas que je me présente comme le trottin des banquettes ! Ton penchant à jouer avec les mots pourrait me valoir des quolibets !

Robert : Avec quoi veux-tu que je joue, sinon avec les mots ? L’emploi du mot trottin est sorti d’usage depuis longtemps, mais tu pourrais lui ajouter une nouvelle acception et ainsi revitaliser le mot.

Dré : C’est vrai que, dans un certain sens, le genre de flâneur que je suis peut s’apparenter au trottin. Bien que généralement sans le savoir, je suis constamment en train de faire des courses : quand je ne sens pas qu’un livre ou qu’un disque m’attend quelque part, c’est quelque chose à trouver dans un café, dans une ruelle, dans un parc, dans une gare, sur une voie ferrée, un terrain vague, un coin de ma ville… Quelque chose à prendre en note et sur quoi écrire, évidemment…

Robert : Et ce sont les trottoirs qui t’y mènent…

Dré : Oui, mais cette fois les trottoirs ne me mènent qu’à eux-mêmes. Retour du flâneur oblige !

Robert : Retour du Flâneur ?

Dré : Je t’expliquerai…

Robert : Et qu’est-ce que tu y découvres, sur tes trottoirs ? Ou devrais-je dire : depuis tes trottoirs ?

Dré : Comme tous les autres engagés dans la même flânerie : des fractions et des miettes de l’ordinaire quotidien, dans ce que celui-ci a de plus courant, de plus banal ; ce qui se produit ou se présente presque sans nous et qui nous échappe. Tout ce qui, au plus proche, à force de répétition et de présence, voire de surprésence, devient plus lointain que l’horizon.

Robert : Là je suis pressé, un écrivain québécois m’appelle à l’aide, mais tu me donneras des exemples…

Dré : Je vais essayer…

À suivre