Par Xavier Martel
« Où vont-ils ? Qui sont-ils ?
Comme ils sont loin du sol !
Regardez-les passer eux ce sont les sauvages
Ils sont où leur désir le veut par dessus monts
Et bois et mers et vent et loin des esclavages
L’air qu’ils boivent ferait éclater vos poumons »
– Jean Richepin chanté par Georges Brassens
Chaque jour, ils mettent leurs bottes, enfilent un manteau choisi dans la penderie, portent à leur tête un chapeau chaud et descendent les marches de l’appartement où ils ont l’habitude de rigoler avec leur compagne. Ils vont dehors pour n’importe quelle raison et par tous les moyens. Que ce soit pour faire des commissions ou pour «prendre» l’air, les assoiffés d’azur s’attardent aux manifestions extérieures du monde avec la même lenteur que la dérive des continents. Ils avancent d’un pas souple et parfois incertain vers des destinations souvent précises, mais quelquefois aléatoires, offrant ainsi à leur regard un plongeon dans l’eau glacé, un oiseau de fraîcheur. Ces moments sont des lacs où ils se dessillent les paupières.
Sur les trottoirs, les amas de neige, les traces du calcium et les craquelures du béton forment des continents, des océans, des cartes géographiques où la topologie est laissée à l’imagination des marcheurs en transe. Sont-ce les parfums de l’hiver qui les entraînent loin d’eux-mêmes ou est-ce autre chose, une chose qu’ils n’arrivent pas à formuler, un mystère qui plane sur la ville comme une ombre couchée sur une femme assoupie, rêvant à plus tard, lorsque son amoureux ira la rejoindre, loin des regards de la foule. Les marcheurs ne savent pas, mais il regarde tout ce qui les entoure avec l’ambition de décoder l’unité qui lie les différents trottoirs de sa ville.
Les assoiffés d’azur errent aux gré des séductions offertes par le paysage montréalais qu’ils s’entêtent à découvrir, les yeux à l’affût.