Appréhension des trottoirs

Par Kevin Cordeau

 

Des trottoirs, règle générale, nous en empruntons tous les jours.

Ce sont souvent les mêmes. Nous avons l’habitude de prendre ceux qui nous mènent sans détour là où nous voulons nous rendre.

L’usage que nous en faisons est quelque peu limité. Le trottoir n’est pas nécessaire à la marche. Seulement, il lui est accommodant. Sa surface policée, rectiligne, ne rend pas forcément la marche agréable, mais elle la rend efficace. C’est sans doute ce qui le rend populaire. Or, dès qu’il est possible de bifurquer par un terrain vague, par exemple, un trottoir « sauvage » apparaît et vient remplacer celui qui est balisé et situé en périphérie. Ainsi, c’est bien l’efficacité qui compte et non pas la perfection du chemin.

Le trottoir est donc un espace voué au déplacement à pied. En ville, il a un statut équivalent à celui de la chaussée. Ensemble, trottoir et chaussée forment la rue – avec un grand r. Il en est ainsi, car voitures et piétons cohabitent très mal. Cela va de soi : il est d’ailleurs possible de le remarquer à chacune des intersections que nous croisons.

Sachant qu’un espace est un lieu considéré en fonction des interactions qui y prennent forme, référons-nous à Michel de Certeau, dans son texte « Récits d’espace » :

Est lieu l’ordre (quel qu’il soit) selon lequel des éléments sont distribués dans des rapports de coexistence. […] Un lieu est une configuration instantanée de positions. Il implique une indication de stabilité. […] L’espace est un croisement de mobiles. Il est en quelque sorte animé par l’ensemble des mouvements qui s’y déploient. Est espace l’effet produit par les opérations qui l’orientent, le circonstancient, le temporalisent et l’amènent à fonctionner en unité polyvalente de programmes conflictuels ou de proximités contractuelles. L’espace serait au lieu ce que devient le mot quand il est parlé. [1]

Est-il possible d’appréhender le trottoir comme s’agissant d’un espace ? Rien n’est plus probable, et c’est sans aucun doute ce que nous nous chercherons à prouver ici.

Cela implique donc une petite typologie des trottoirs, question de les appréhender avec assurance.

 

Une brève typologie des trottoirs

Nous l’avons dit, les usages sont assez limités, mais c’est bien peu dire… Les principaux usagers des trottoirs l’utilisent afin de se déplacer. Ainsi, le trottoir n’est considéré que dans sa fonction fondamentale, qui est celle de nous permettre de nous déplacer d’un endroit à un autre sans trop de « danger ». Par contre, il y a d’autres types d’usagers. Ceux-ci, moins mobiles, utilisent surtout le trottoir pour des questions d’ordre pécuniaire…

Mobilier des trottoirs

Il y a les boites postales (rouges ou grises), les abribus, les bancs publics, les bornes-fontaines, les bouches d’égoût, les bacs de fleurs (et variantes), les arbres et les arbustes, les râteliers pour vélos, les poteaux de bois, ceux de fer (signalisations et autres), les bornes de stationnement et les poubelles.

J’irais jusqu’à dire que cette liste est exhaustive. Si un autre type de mobilier s’ajoute sur nos trottoirs, je crois qu’il sera plus juste de parler d’occupation.

 

Occupation des trottoirs

C’est ce qui devrait nous intéresser le plus. Nous pouvons déterminer une occupation d’abord par le fait qu’elle est temporaire. Avant d’aller plus loin, observons un cas de figure:

Sur le trottoir, devant le supermarché, une dame d’une bonne cinquantaine d’années passe le plus clair de son temps à tendre la main aux clients qui entrent et qui sortent. Si ce n’est pour eux qu’un simple lieu de passage obligé afin d’entrer au supermarché, c’est pour elle un lieu qu’elle occupe de façon ponctuelle, et ce, pour un usage précis, celui de demander de la monnaie aux passants.

Ainsi, usage et occupation se distinguent. Cette dame occupe cet espace, car il est un croisement de mobiles, pour reprendre de Certeau. L’occupation serait donc relative au lieu, alors que l’usage le serait à l’espace. L’occupation serait donc la présence, alors que l’usage serait le motif.

Enfin, il y a plusieurs cas d’occupations et d’usages!

En outre, lorsqu’un trottoir est barré pour causes de réfection, je parlerais davantage de prise d’assaut que d’occupation, car cela en empêche l’usage ainsi que l’occupation. Cela peut très bien donner lieu à des scènes intéressantes à observer…

Évidemment, tout cela n’est pas exhaustif. Je crois bien que chacune de nos interventions permettra d’approfondir cette brève typologie de départ.

 

[1] Michel de Certeau. « Récits d’espace » in L’invention du quotidien. I. Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990, p. 173