Par Annie Dulong
J’habite un étrange petit coin de la ville, entre les rues Ste-Catherine et Notre-Dame. Une rue qui ne débouche que sur elle-même, formant un arc qui communique avec la rue voisine. Au coin de la rue, parfois, à la fin du mois, des prostituées attendent. Et de l’autre côté, faisant face aux prostituées, un Dairy Queen interpelle les résidents de mon quartier, qui arrivent en foule après le souper et s’installent là, sur la rue Ste-Catherine, pour manger leur crème glacée avant qu’elle ne fonde.
Pas très loin, il y a un parc, le parc Morgan. Quelques uns vont s’y installer avec leur crème glacée, mais la plupart du temps, le parc est habité par des hommes et des femmes d’un certain âge qui viennent s’y installer avec leurs chiens, leurs radios et leurs chaises roulantes motorisées. De la petite gloriette de pierres, on peut voir d’un côté le magnifique marché Maisonneuve, de l’autre, peut-être, la rue Notre-Dame. J’imagine qu’on y voyait peut-être, au tout début, les chantiers de la Vickers.
Voilà pour la rue Ste-Catherine. Je ne vais pas souvent dans ce parc, comme s’il était déjà trop habité pour que je m’y sente à l’aise. Une fois l’an, pendant la grande éco-braderie de la rue, il se transforme en un étrange chantier où des portes, par centaines, attendent d’être peintes, offertes à l’imagination des passants. Et une fois l’an, il est aussi envahi de petits danseurs et de petites danseuses, pendant quelques jours, lorsqu’ils font leur spectacle annuel au théâtre Denise-Pelletier.
Lorsque ma rue commence à tourner, elle arrive sur une langue de terre gazonnée, celle qui longe la rue Notre-Dame et forme un corridor cyclable. Ce n’est pas un parc, pas à proprement parler, même si on peut aller s’y promener, ou y faire courir un chien. Ce n’est pas un parc, mais un lieu de transition.
Mais si je dis que j’habite un étrange quartier, une langue de terre, c’est aussi à cause des parcs, de l’autre côté de la rue Notre-Dame. On y joue au soccer et au foot. L’été, les samedis et dimanches, je m’éveille avec les bruits de la fanfare qui encourage les sportifs. Les cris, jusqu’à tard le soir, et les coups de sifflets, feutrent le passage des voitures sur la rue Notre-Dame, et se mêlent aux sons des trains et des bâteaux.