Toto Bissainthe, sé moon ou yé?

Toto Bissainthe, qui êtes-vous?

 

Par Jean-Claude Castelain

 

 

N’eussent été la modeste balançoire, les deux bancs esseulés sous les pins ainsi que le panneau indicateur municipal standard, on aurait peine à croire que c’est un parc montréalais, flanqué de la station Bixi d’Hutchison-Van Horne encore épargnée des graffitis qui maculent l’abribus griffé Dior, la cabine téléphonique de Bell ainsi que le mur de briques de la ruelle d’à côté.

Ici, le Plateau Mont-Royal touche à sa fin et dans cette limite nord du quartier Mile-End on croise une importante communauté juive hassidique qui s’étend dans le chic arrondissement d’Outremont avoisinant.

Did you know that Toto Bissainthe once recorded a yiddish lullaby ? demandai-je à deux jeunes qui traversaient le parc.

What ? No, we don’t… répondirent-ils l’air interrogateur.

Juste en face, non loin du bâtiment délabré, je repère un taximan d’origine haïtienne.

Pardon, Monsieur, en face, c’est bien le Parc Toto Bissainthe,  la très grande comédienne, actrice et chanteuse haïtienne ?

Je ne sais pas. Non, non, elle n’est pas Haïtienne.

Et pourtant. C’est avec des mots créoles d’Haïti, son île natale, et avec des chants d’esclaves tirés du culte vaudou qu’elle a interprété et chanté le quotidien des opprimés, la souffrance des exilés, la soif de liberté des enfermés, elle qui était « hantée par la déportation de ses aïeux ». Et il m’arrive d’imaginer que si Pauline Julien avait été Haïtienne, elle aurait pu aisément s’appeler Toto Bissainthe tant leurs deux parcours se rejoignent.

Le parc qui porte le nom de Toto Bissainthe depuis octobre 1996 est un minuscule îlot oublié d’à peine mille mètres carrés, planté de quelques arbres et que traverse un raccourci séparant le gazon miteux d’une surface de sable, qui semble faire tristement écho aux mornes érodés de l’île créole caraïbe.

Depuis peu, une murale de l’artiste nicaraguayen Julio Moreno agrémente ce petit espace. Cada Gotita Cuenta, Chaque goutte compte, vient rappeler au passant que l’eau est source de vie. Telle la maîtresse des eaux, Toto Bissainthe en serait ravie, elle dont la parole a célébré le « rasanbleman » des gouverneurs de la rosée.

En effet, chaque goutte compte dans cette initiative sociale de l’organisme MU qui fait fleurir des murales afin de jeter des ponts entre les communautés montréalaises. Et notamment ici avec la communauté juive hassidique dont les représentants sont les propriétaires du mur qui sert de toile à la fresque urbaine.

Et si la Fondation One Drop-Goutte de vie du Cirque du Soleil y a manifesté son soutien, l’embouteilleur d’eau Naya, pour ne pas être en reste, y vient mêler son couplet publicitaire environnemental.

La grande voix noire de Toto Bissainthe semble résonner comme jamais dans ce petit jardin public qui est à l’image de la parole de l’artiste haïtienne : entre misère et espoir.

En hommage à l’artiste, décédée en octobre 1994, le doyen haïtien des poètes montréalais, Anthony Phelps, a écrit : « Hmm ! Sacrée Toto ! … Le brigadier a frappé ses trois coups, et tes pas se sont perdus dans le Tragique, la Dérision, entre l’Absurde et le Comique ».