Par la lorgnette, suite 2

Par André Carpentier

 

 

Le rhétoricien grec Hermogène de Tarse définit la description minutieuse (l’ekphrasis) comme «un discours détaillé, vivant et mettant sous les yeux ce qu’il montre». En ce sens, la description est réputée rendre compte des propriétés qui identifient ce qu’elle décrit.

Or, cette approche nous pose au moins deux problèmes.

D’abord parce qu’elle ne semble pas prendre en compte la subjectivité de celui qui décrit. Nous savons en effet que l’écrivain, le peintre, le photographe même qui se donne pour ambition de décrire l’espace qu’il fréquente n’est jamais neutre. C’est d’ailleurs justement sa subjectivité qui nous intéresse, c’est-à-dire sa manière particulière de voir et de décrire. Sa vision.

Ensuite, il y a que voir, c’est également ne pas tout voir. Celui qui voit ne voit jamais que parcellement. En ce sens, la plus substantielle collation de notes n’épuisera jamais le réel, ça va de soi. Outre qu’elle est subjective, la description n’est jamais qu’incomplète. Disons-la donc partiale et partielle.

J’ajoute que celui qui décrit adresse sa description à quelqu’un. Par sa description, il dit à l’autre : regarde avec moi. Regarde comme moi. Arrache avec moi ce détail du grand tableau de la généralité. Et vois ce qu’il porte quand tu le prends à part. Regarde-le aussi à ta manière. Car le regard est d’abord un intermédiaire qui renvoie de toi à toi-même, dit à peu près Sartre.

Par cette série de photos mises sous le titre de travail «Par la lorgnette», je vise, sans la moindre prétention artistique, à juste isoler des silhouettes humaines, en espérant que de la signification égarée en surgisse. C’est pourquoi je choisis de transgresser le regard ordinaire par des flous et des saturations. Je pars du principe qu’il faut parfois effacer la normalité (le caractère moyen des choses) qui banalise notre regard.