Les minuits ensoleillés

                  Sébastien Sainte-Croix-Dubé

La nuit, les tavernes respirent au rythme du bourdon musical des verres colorés. Les plafonds suspendus dansent sous la lueur des lampes rouges d’amertume. Les murs repoussent du mieux qu’ils peuvent les bruits d’haleines sucrées et emplies d’ambition. Un jazz saccadé frappe de plein fouet les conversations arithmétiques de la jeunesse pulpeuse qui, selon la valse des dix coups de minuit, hésite sur le porche des aveux. Les serveuses fourmillent sur le plancher, déposant leurs oreilles sur le rebord des plateaux commandés.

Rouge de honte pour un confrère dont la verve refoulée obscurcit vicieusement ses yeux bleuis d’espoir. Rouge de colère pour la blonde trop sûre et trop barbouillée dont la parure tisse les rideaux d’un spectacle sans goût ni résonnance.

Ainsi, la poésie des genres valse constamment avec son environnement.

La nuit, dans les tavernes, l’enjeu primaire est d’adopter le lieu, pour ne faire qu’un avec lui. Se déplacer et respirer à sa cadence, être l’environnement pour en saisir les corps étrangers qui s’échappent à eux-mêmes, saisir et maîtriser l’art du signe et du dialogue, peu importe le nombre de vers ingurgités. Ne fermer l’œil qu’aux rayons déchirants du matin.