Par Anne-Sophie Subilia
Les dépanneurs un dimanche de pluie, c’est tout ce qu’il y a de plus invitant. On y va volontiers et ce n’est pas pour rien que « le mien » se nomme Vadeboncoeur. Synonyme d’une lente après-midi effeuillée par quelques bons films, de la bière et des chips, le dépanneur se dresse comme une valeur sûre, rassurante : de la boisson et des grignotines à portée de main, à portée de pantoufles…
Or ce jour-là, le dépanneur a pris un air différent. Ce n’était pas moi qui achetais les chips ni la bière. Moi je venais regarder un peu, m’attarder entre une boîte de pois et une revue, entre un vin douteux et trois bonbons. Mais sous l’œil de Big Brother, comment goûter au plaisir tout simple d’être là ? Alors que j’avais le goût de flâner, je me voyais dans le téléviseur du magasin, jeune star de dépanneur, et ça me donnait l’envie de partir.
J’ai pu rester un peu, pourtant. Une femme était là, qui achetait des chips et de la bière, puis deux tickets de loterie, puis un paquet de gommes à mâcher aux fruits, et un autre à la menthe… en silence, je remerciais cette cliente de faire son épicerie avec une tranquillité dominicale : je gagnais du temps ! Le temps de voir à quel point un dépanneur est… chaotiquement fascinant.
Les épiceries suisses m’ont habituée à des rayonnages savamment structurés, catégorisés, régulièrement rafraîchis ; à des alignements stricts, rationnellement entreposés, étudiés, cliniquement gérés. On entre, on trouve, on sort. Avec son art du dépannage, Montréal offre la surprise des labyrinthes antiques ; quelques saucisses séchées pour trappeurs côtoient les bâtons de réglisse qui, eux-mêmes, font de l’ombrage à des biscuits emballés. Sur le comptoir, derrière une statuette de bouddha, se cache une tirelire avec mention : « Pour l’Oratoire St-Joseph ». On oublie un peu les trois caméras dissimulées dans ce 30 mètres carrés, et on fait de bon cœur trois fois le tour des rayons. Pourvu que d’autres clients arrivent ! Je sens l’œil semi-soupçonneux du vendeur asiatique et j’aimerais tant lui dire qu’il n’a rien à craindre.