Familiarité

Par Chloë Rolland 

 

C’est la fin janvier et je commence à peine à me familiariser avec le thème de cette flânerie dont je serai la coanimatrice. J’en ai été surprise lorsque Benoit m’en a parlé et puis, moi aussi, le défi m’a stimulée.

On n’entre pas dans un dépanneur comme on n’entre dans une église, ni comme on n’entre dans une épicerie. Habituellement, il y a un caissier qui nous sourit si on a l’air gentil, nous fait un air louche si on a l’air louche ou nous ignore, peu importe l’air qu’on a! Il est habituellement seul dans son commerce et il en a vu d’autres. C’est un lieu familier où on entre sans cérémonie. On va y chercher ce qui nous manque : des cigarettes, de la bière, du lait, du pain ou du Ginger ale pour les matins difficiles; une activité des plus utilitaires, un parcours à priori sans surprises. Pourtant, comme tous les lieux où l’honnêteté est de mise et l’intimité est à l’honneur, on se plaît souvent à s’y montrer à découvert, en pantoufle ou en état second, ce qui amène parfois des situations cocasses et donne lieu à des anecdotes savoureuses.

C’est ce qui me plaît dans ces lieux du quotidien : le caractère impromptu des rencontres qu’on y fait, la familiarité qui y règne, la diversité des produits, des étalages, des ambiances, toute cette extravagance du prêt-à-consommer.

Je commence donc par mon dépanneur du coin, étrangement appelé Dépanneur Circe. Je me dis que l’enseigne doit dater d’une autre époque. Vietnamiens d’origine, les caissiers qui y travaillent sont des gens de peu de mots. Ils parlent un français syncopé et timide, mais sont généreux en sourire et comprennent rapidement mes demandes réduites à leur plus simple expression : « Un paquet de Peter Jackson régulier, s’il te plaît. Je peux avoir 40$ de plus, merci. » J’apprécie leur regard neutre sur mes magazines à potins, mon Cheez Whiz ou mon gratteux chanceux. Évidemment, cela leur sied bien que j’aie envie, à 10h du soir, de manger des cochonneries ou de boire un dernier verre de vin, même s’il est de toute évidence de trop. Ils sont là exprès pour me permettre de succomber, à tout moment, à mes envies les plus élémentaires, sans porter de jugement, sans demander d’explication. Je pourrais leur demander la lune, et gentiment, ils hocheraient la tête pour faire signe qu’ils ne la tiennent pas en magasin ou me proposeraient peut-être une lune de miel, ce qui pourrait bien me faire rougir. J’y pense, il faudrait bien que j’essaie un jour. À suivre!