Par Jean-Claude Castelain
Lors de mes voyages, je fréquente souvent des lieux qui ont pour enseignes Café de la Gare, Auberge du Fleuve, Brasserie de la Cathédrale ou Restaurant du Port. Ils ont pour particularité de faire face au lieu dont ils utilisent le nom soit comme point de repère ou plus souvent comme attrait.
Quelle ne fut pas ma surprise au Quartier DIX30 de Brossard de constater que ce très vaste complexe commercial tourne résolument le dos aux autoroutes 10 et 30, qui le bordent, lui servent de repères et lui donnent son nom, en leur présentant uniquement la face de service de ses nombreux commerces, cachant ainsi la vue sur ces axes routiers de l’intérieur du complexe.
Si dans le ciel de Paris la Tour Eiffel fait office de symbole, tout comme Big Ben l’est à Londres et le Stade Olympique à Montréal, au Quartier DIX30, c’est le cube de l’Hôtel Alt qui domine le complexe commercial de même que cette tour multicolore signalétique plantée tel un phare à l’angle de l’axe autoroutier brossardois.
Un peu à la manière de Jacques Prévert allant en son poème «Pour toi, mon amour» au marché aux oiseaux ou au marché aux fleurs, je suis allé au Quartier DIX30, mais contrairement au poète, je n’ai rien acheté pour toi, mon amour.
Il y avait trop de ces bannières franchisées que l’on retrouve à la grandeur du Québec si ce n’est de l’Amérique du Nord toute entière. Et celles qui prédominent par leur taille et leur surface sont des hyper-quincailleries – Rona et Canadian Tire – ainsi que l’incontournable Walmart.
Si pour le reste les tailles diffèrent, on y retrouve les sempiternels commerces de vêtements et de chaussures, d’électronique, de mobilier, de sport, d’esthétique et de santé et accessoirement quelques boutiques à bouffe, sans oublier l’inévitable SAQ et quelques restaurants de chaînes habituelles, dont la Cage aux Sports et Les Trois Brasseurs.
L’Avenue des Lumières – qui débute à la Place Extasia (rien de moins, mon amour!) face à la salle de spectacle L’Étoile-Banque Nationale et se termine dans le stationnement du gigantesque Cinéplex Odéon – constitue le coeur du Quartier DIX30, auto-proclamé «premier lifestyle center du genre au Canada» et également «destination de choix pour ceux qui veulent profiter d’un milieu de vie urbain qui a tout à offrir, sans les inconvénients de la ville».
Je suis allé en vélo au Quartier DIX30, mais j’ai bien vite compris qu’il valait mieux prendre la voiture si je voulais terminer mon histoire, mon amour.
Je suis allé en voiture au Quartier DIX30, et je n’ai pas vu de parcomètres mais une multitude de parkings et des places de stationnement gratuites en surface comme en sous-sol. De jeunes arbres décorent ces espaces bitumés que bornent des terre-pleins plantés de graminées et d’arbrisseaux. Mais je ne crois pas avoir aperçu de fleurs, ni dans les plates-bandes ni accrochées aux réverbères.
Je suis allé à pied au centre du Quartier DIX30 et j’ai déambulé parmi des bâtiments à l’architecture insipide, tous pareils et présentant de manière uniforme les bannières des dizaines de magasins qu’ils abritent. Le long des trottoirs surveillés par des caméras, des hauts-parleurs blancs diffusent une musique formatée.
Je te le redis, je n’y ai rien acheté pour toi, mon amour, car je n’ai point trouvé de petits commerces, ni d’artisans, ni de boutiques de quoi chiner.
Et dans la zone résidentielle du complexe dénommée Cité DIX30, j’ai contemplé des rangées de condominiums systématiquement alignés, tels de luxueuses casernes, qui n’exposent ni fleurs ni linge au balcon.
Là, tout n’est qu’ordre et propreté. Pas de poteaux ni de fils électriques enchevêtrés. Point de graffitis ni d’affiches. Pas de petits parcs, pas d’artistes des rues, pas de monuments ou d’œuvres sculptées, mis à part un cheval esseulé en facade d’un restaurant. J’y ai constaté un univers ordonnancé, normalisé, balisé, fléché, stérilisé, tel un jeu de construction pour enfants. Je crains qu’il s’agisse ici de quelque chose de très stéréotypé et un brin concentrationnaire, mon amour.
Je suis allé au Quartier DIX30 et je n’ai pas remarqué des panneaux m’indiquant la direction d’un lieu d’attraction quelconque, mon amour. Mais j’ai repéré à répétition des panneaux autoroutiers 10 et 30 m’invitant manifestement à m’évader vers ces routes, qui sait?, à la découverte d’un Québec sûrement plus imaginaire, mon amour.