Par Myriam Marcil-Bergeron
Le qualificatif de grande surface s’applique également aux stationnements de ces dites surfaces. Un dimanche supra-pluvieux, c’est désagréable. Mais un dimanche supra-pluvieux une heure avant la fermeture (donc bondé), ça devient un défi. On traverse le stationnement à la course mon père et moi, se protégeant comme on peut, avant d’atteindre le portique où règne l’odeur de la nicotine bien humectée. On attrape un panier – le temps de songer qu’il y a toujours une table de financement au milieu du hall, la preuve que Costco ne fait pas que des gros sous tous les jours sans qu’il songe aux autres (aujourd’hui c’est Opération Enfant Soleil) – on atteint la vraie entrée, où une fille au grand sourire (tiens, on allait au secondaire ensemble) nous tend le dépliant avec les spéciaux du jour. Les écrans géants côtoient les malaxeurs à jus, puis les boutures de fines herbes au bout d’une allée, à côté des cafetières.
Malgré la commodité et (oui!) le potentiel esthétique des objets vendus au Costco, c’est la nudité de l’endroit, l’absence de cachet, les étagères métalliques, quelques démos qui possèdent le ton de l’utilitaire et non du beau. De l’utilitaire et du format économique: impossible d’acheter un pot de trempette aux épinards ou de tartinade de tofu Fontaine Santé, ils viennent par emballage de deux, et ce ne sont pas les contenants de 250 grammes. Les pots de yogourt, les pains, même histoire. Au royaume du Deli, les ailes piquantes sont si nombreuses dans le pack que je dois soulever la barquette de styromousse à deux mains. Mon père peut bien rire, je lui pointe celle de steak haché. Il arrête de se moquer. Plus tard, à ma sœur qui achètera un gâteau, je dirai qu’il pourrait presque compétitionner les fromages que les Gaulois roulent devant eux…
Toute cette abondance à l’abri dans les frigos, les étalages, n’altère pas l’aspect nu de l’entrepôt. Et cette grande surface se transforme en caisse de résonance lorsqu’un petit garçon – appelons-le Loïc, disons qu’il a trois ans –, décide de s’époumoner, de littéralement s’enflammer les cordes vocales. Je l’entends comme s’il tirait ma manche pour que je lui achète le dernier Geronimo Stilton, alors qu’il doit se trouver aux caisses, avec ses parents. Il trouble ma lecture d’À la di Stasio, et quelques minutes plus tard ses hurlements se fraient toujours un chemin jusqu’aux rayons des disques, même celui de salsa programmé en lecture continue ne l’enterre pas. J’imagine que je crierais de la même façon si je devais m’agripper à une poutre de peur qu’une tornade ne m’entraîne dans son tourbillon… ce qui, je crois, n’est pas le cas en ce moment. Cela dit, en nous dirigeant à notre tour vers les caisses, foyer des hurlements, nous croisons un amoncellement de nounours en peluche, eux aussi format Costco: ce pourrait être des mascottes.
Au moment de quitter, alors qu’on discute avec ma sœur, chef d’équipe, une caissière nous interrompt, l’air mi-paniqué, mi-perplexe:
—On a un problème. Y a une fille qui a perdu ses parents…» C’est une fois la voiture regagnée, trente minutes plus tard, que j’aurai la fin de l’histoire.
—C’était assez weird, nous apprend ma sœur. C’est une fille de 14 ans, et ses parents ont quitté le Costco sans elle. Elle a emprunté le cellulaire d’un client pour appeler sa tante, mais la ligne a coupé… C’est la tante qui a rappelé pour donner le signalement de l’adolescente, et dire qu’elle s’en venait la chercher.
—Hein?
—Comme j’ai dit, c’était bizarre…